L’entrepreneuriat rural représente un formidable potentiel inexploité pour nos territoires. Alors que 30% des Français vivent en zone rurale, seules 25% des entreprises y sont implantées. Un paradoxe que la Fondation Entreprendre entend résoudre avec son nouveau livre blanc « Entreprendre en ruralités », fruit de trois années d’expérimentation sur le terrain. Ces 10 propositions concrètes pourraient bien changer la donne pour les entrepreneurs des campagnes françaises, trop souvent oubliés des politiques d’accompagnement.
Entreprendre en ruralités : un programme qui fait ses preuves
Le constat est sans appel : l’entrepreneuriat rural souffre d’un déficit d’accompagnement par rapport aux zones urbaines. Pour Josepha Poret, directrice générale de la Fondation Entreprendre, « les entrepreneurs ruraux font face à des défis spécifiques qui nécessitent des solutions adaptées, loin des modèles standardisés des métropoles. »
Lancé en 2020, le programme « Entreprendre en ruralités » a mobilisé six structures d’accompagnement à travers la France pour répondre à ces besoins particuliers. Le bilan est encourageant : plus de 1000 personnes sensibilisées et 263 porteurs de projet accompagnés en trois ans. « Ces chiffres démontrent l’appétence réelle des territoires ruraux pour l’entrepreneuriat », souligne Josepha Poret.
Le programme a également permis d’identifier les spécificités de l’entrepreneuriat rural : des projets souvent ancrés dans l’économie sociale et solidaire, une forte dimension collective et un impact territorial direct. Autant d’atouts qui méritent d’être valorisés et soutenus par des dispositifs dédiés.
La coopération locale : le secret de la réussite rurale
L’une des clés de réussite identifiée par le livre blanc est la nécessité de renforcer les coopérations entre acteurs locaux. « Dans les territoires ruraux, les entrepreneurs ne peuvent pas réussir seuls », confirme Elise Picon, directrice d’Airelle, structure d’accompagnement basée dans le Parc national des Cévennes.
Son association a développé Rhizome, un incubateur social qui mise sur les synergies locales pour faire émerger des projets viables. « Nous réunissons autour de la table les entrepreneurs, les collectivités, les associations et les habitants. Cette approche collective produit des projets beaucoup plus solides et pertinents pour le territoire », explique-t-elle.
Cette méthode a notamment permis l’émergence d’une recyclerie qui emploie aujourd’hui cinq personnes et dynamise toute une vallée cévenole. Un modèle que le livre blanc encourage à dupliquer dans d’autres territoires ruraux en France.
Portrait-robot de l’entrepreneur rural : un engagement local fort
Les entrepreneurs ruraux présentent des caractéristiques distinctes de leurs homologues urbains. « Ils sont généralement plus ancrés dans leur territoire, avec une forte volonté d’impact local », analyse Sébastien Lévrier, fondateur des Petites Rivières, une entreprise qui revitalise les centres-bourgs.
Le livre blanc révèle que 68% des entrepreneurs accompagnés dans le cadre du programme souhaitaient avant tout contribuer à la vie locale. « Contrairement aux idées reçues, la recherche de profit n’est pas leur motivation première. Ces entrepreneurs veulent créer de la valeur sociale, environnementale et économique pour leur territoire », précise Josepha Poret.
Autre spécificité : ces porteurs de projet privilégient souvent des modèles hybrides, à mi-chemin entre l’entreprise classique et l’association, comme les coopératives ou les entreprises à mission. Une approche qui répond aux besoins particuliers des économies rurales.
Des méthodes d’accompagnement innovantes adaptées aux ruralités
L’accompagnement entrepreneurial en milieu rural ne peut pas simplement répliquer les modèles urbains. C’est le constat partagé par Elise Depecker, directrice d’Atis, structure d’accompagnement en Nouvelle-Aquitaine : « Nous avons dû réinventer nos méthodes pour les adapter aux réalités rurales. »
Parmi les innovations développées : des parcours d’accompagnement itinérants qui se déplacent sur les territoires, des formats mixant présentiel et distanciel pour limiter les déplacements, et une forte implication des acteurs locaux dans le processus d’accompagnement.
« La proximité est essentielle. Nous avons mis en place des binômes locaux composés d’un accompagnateur professionnel et d’un entrepreneur du territoire. Cette complémentarité apporte une richesse incomparable au processus », témoigne Elise Depecker. Une approche qui a permis à Atis d’accompagner efficacement 42 porteurs de projet en Dordogne et Lot-et-Garonne.
Les 10 propositions pour booster l’entrepreneuriat rural
Le livre blanc de la Fondation Entreprendre formule 10 propositions concrètes pour développer l’entrepreneuriat dans les territoires ruraux :
- Créer un réseau national dédié à l’entrepreneuriat rural
- Développer des tiers-lieux entrepreneuriaux dans les petites villes
- Former des accompagnateurs spécialisés dans les spécificités rurales
- Favoriser l’émergence de communautés d’entrepreneurs locales
- Adapter les dispositifs de financement aux projets ruraux
- Mettre en place des « bus de l’entrepreneuriat » itinérants
- Intégrer l’entrepreneuriat dans les projets de revitalisation des centres-bourgs
- Créer des ponts entre entrepreneurs urbains et ruraux
- Sensibiliser les jeunes ruraux à l’entrepreneuriat dès le collège
- Valoriser les success-stories entrepreneuriales rurales
« Ces propositions sont le fruit d’une expérimentation de terrain, pas de théories déconnectées des réalités », insiste Josepha Poret. « Nous espérons maintenant que les pouvoirs publics et les acteurs privés s’en saisiront pour structurer un véritable écosystème entrepreneurial rural. »
Une ambition nationale pour les entrepreneurs ruraux
Le programme « Entreprendre en ruralités » a bénéficié du soutien financier d’AG2R La Mondiale, de la fondation RTE et de la fondation Terre & Fils. Au-delà du livre blanc, la Fondation Entreprendre ambitionne désormais de créer une véritable politique nationale en faveur de l’entrepreneuriat rural.
« Les entrepreneurs sont les premiers acteurs de la revitalisation des territoires ruraux. Ils créent des emplois, des services et du lien social là où ils sont parfois en train de disparaître », rappelle Josepha Poret. « Il est temps que cette réalité soit reconnue et soutenue à sa juste valeur. »
Le livre blanc propose notamment la création d’un observatoire national de l’entrepreneuriat rural, permettant de mesurer l’impact économique et social de ces initiatives sur les territoires. Une manière de rendre visible une dynamique entrepreneuriale trop souvent dans l’angle mort des politiques publiques.